Dénégrification: Mon «nègre», mon doudou…

61semipPtIL._SL500_AA300_D’abord, toutes mes excuses pour ce manquement au devoir d’information. Je suis passé à côté d’une polémique intéressante, je suis confus, pardon.

Mieux vaut tard que jamais…

Fin janvier, les allemands s’étripaient sans merci pour une sombre histoire de «nègre». D’un côté, les partisans de «Touche pas à mon nègre», de l’autre les «Nègre? C’est pas bien», pour ainsi les décrire.

Ne choisissez pas encore votre camp car les apparences…

La fleur du mal en Allemagne, c’est la suppression annoncée du mot nègre dans un livre pour enfants de 1957, La petite Sorcière (die Kleine Hexe). Le mot «nègre» est employé dans un récit de carnaval pour désigner des personnes déguisées : «Les deux petits nègres n’étaient pas du cirque, ni les Turcs, ni les Indiens, ni les petites chinoises, ni les cannibales (…) Non, c’était carnaval au village».

Des nègres au village en Allemagne en 1957, y avait  pas. Ni les turcs, ni les cannibales. Pas d’immigrés.

La polémique. L’éditeur a décidé de retirer le terme «nègre» de la prochaine édition de ce classique de la littérature allemande pour enfants, à l’occasion du 90e anniversaire de l’auteur Otfried Preussler qui a accepté que son texte soit modifié. L’ouvrage conte les aventures d’une sorcière gentille, accompagne les petits z’enfants allemands de génération en génération depuis sa première, traduit en 47 langues.

Je vais faire «nègre», je vous résume les arguments des deux camps. Pour faire simple, je garde mes qualificatifs qui collent bien à la situation décrite par Libération (19 janvier 2013)..

1. Les «touche pas à mon nègre».

Les « Touche pas à mon nègre »  pensent qu’on dénature l’œuvre au nom du politiquement correct en retirant des termes discriminants tels que le mot «nègre», ils parlent de  «police de la langue», dénoncent la «dénégrification» des livres pour enfants. (j’aime bien ce mot, dénégrification).  Ces conservateurs s’insurgent donc contre «les moralistes» qui «devraient faire preuve de plus de tolérance» à l’égard des classiques. On dirait du Zemmour..

«Les œuvres doivent être acceptées telles qu’elles ont été créées (…) Sinon, nous pourrons jeter un jour une grande partie de la littérature mondiale ou même l’Ancien testament». Ils pensent qu’il s’agit d’une opportunité pédagogique  pour expliquer aux enfants que des mots tels que nègre ne doivent plus être utilisés alors qu’ils étaient courants autrefois. Trop fort.

Ils veulent garder leur « nègre ». C’est à eux, depuis qu’ils sont tout petits, ils l’aiment très fort, c’est leur doudou

2.  Les « Nègre? C’est pas bien » 

L’éditeur, l’auteur et les progressistes (de gauche) pensent, eux: «Un livre imprimé en 2013 dans lequel figure le mot « nègre » emploie un vocabulaire raciste (…) L’enfance est une période cruciale où s’ébauche le cadre des valeurs». Le projet «d’actualiser deux chapitres du texte» est maintenu, en dépit des protestations. La maison d’édition n’écarte pas la possibilité que les costumes de «Turcs en pantalons bouffants» soient aussi remplacés «par des costumes plus courants pour les enfants d’aujourd’hui». Les modifications du texte sont actuellement à l’étude.

On va donc attendre la sortie du bouquin pour en savoir plus. J’espère qu’ils ne vont pas nous faire tout un référendum juste pour un ou deux «neger». Quelqu’un peut vérifier dans la version française (la petite Sorcière) s’il y a le mot « nègre« ?

Au fait comment ça se passe chez nous? On a gardé les doudous?

35 réflexions au sujet de « Dénégrification: Mon «nègre», mon doudou… »

  1. Aux USA, il y a la même polémique depuis des années, sauf que les rappeurs, par exemple se nomment niggas mais pas question que les autres les appellent comme cela.

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      1. Bembelly, savez-vous qu’on a débaptisé la poule nègre-soie, qui s’appelle maintenant « Poule Soie » ?
        Je suis (ça va peut-être vous étonner) pour le politiquement correct, dans cette histoire. Même si Césaire et Senghor ont magnifié le mot « nègre », je crois qu’il faut faire attention à la façon dont on l’emploie. Ne pas s’offusquer quand on le trouve dans des documents anciens repris maintenant (la musique nègre, l’art nègre), ne pas le gommer des livres passés (dans Mark twain, quelle aberration !) mais dans ce qui se fait aujourd’hui, chez nous… et pour des enfants, puisque c’est le sujet de votre billet… non. Le contexte dans lequel les enfants peuvent entendre ce mot est le plus souvent raciste, et ça devrait suffire quand à rendre son emploi très très précautionneux. Pas pur ne pas s’attirer les foudres du CRAN, mais pour ne pas peiner, heurter, donner lieu à des explications hors sujet (je parle toujours des livres pour enfants) tout simplement.
        Qu’en pensez-vous ?

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        1. Suzanne

          1. Non, je ne suis pas surpris
          2. Chacun garde ou pas ses « doudous« , s’il pense que c’est dans son forfait bien-pensant.
          3. L’auteur (éditeur) du livre aussi.
          4. Question: À qui appartient le contenu d’un livre? À son auteur ou à la mémoire collective? C’est ça la question in fine.
          5. Cette action, cette denégrification n’est pas une requête de nègres ou de gosses. Qu’ils se démerdent avec leur conscience!
          6. Foutre la Paix à Césaire et Senghor.

          Voilà!

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    1. Il y a une forme d’appropriation du mot nègre dans l’optique de se « valoriser« . Les rappeurs américains l’utilisent dans ce sens.
      Son utilisation peut signifier « Le nègre vous emmerde! » (Césaire).

      Ma fille m’appelle le « vieux nègre« , j’adore car, Nègre je suis, nègre je resterai [Cesaire].

      Oui, à chacun son doudou! Mais, le doudou des uns n’est pas forcément celui des autres.

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  2. À qui appartient le contenu d’un livre? À son auteur ou à la mémoire collective? C’est ça la question in fine. »

    « Les livres appartiennent à la mémoire collective… C’est un minimum. Relisez ce que Balzac a dit de la femme de trente ans…. relisez tout ce qui a été écrit depuis trois ou quatre siècles en vous imaginant que vous êtes une femme, et qu’il vous appartient de ne pas laisser tomber sous les yeux de petites filles tout écrit qui donnera une image dégradée, sexiste, des femmes, pour une petite fille d’aujourd’hui. Ce qui aura échappé à votre paire de ciseaux, vous pourrez le mettre dans votre sac à dos, il sera encore assez léger pour contenir les écrits absolument non racistes d’avant le XXème siècle.
    Si vous avez envie d’épurer tous les livres passés de ce qui est jugé raciste maintenant, bon courage !

    …et « foutre la paix à Césaire et Senghor », qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’ils écrivaient pour les noirs, et que les blancs ne doivent pas les citer ? et/ou pire encore, ne peuvent pas en saisir la substantifique moëlle ? Allons… C’est comme si je vous demandais de « foutre la paix à Virginia Woolf » si vous la citiez, sous prétexte que c’est une femme blanche.

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    1. Ma chère la « Merle Moqueuse » (On peut l’écrire?). Trois points.

      1.«Si vous avez envie d’épurer tous les livres passés de ce qui est jugé raciste maintenant, bon courage!».
      Réponse: Personne ne l’a mentionné. (re)lire le billet.

      2.« foutre la paix à Césaire et Senghor », qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’ils écrivaient pour les noirs, et que les blancs ne doivent pas les citer ? et/ou pire encore, ne peuvent pas en saisir la substantifique moëlle ? Allons… C’est comme si je vous demandais de « foutre la paix à Virginia Woolf » si vous la citiez, sous prétexte que c’est une femme blanche».
      Réponse: Je complète, Foutre la paix à la femme blanche, elle n’a rien demandé.

      3. Je partage ton avis sur l’antériorité de certains écrits. Difficile en effet de demander une correction des œuvres littéraires quand les auteurs ne sont plus là. Dans le cas de la dénégritication en Allemagne, la question se pose. Cette demande est une requête de l’auteur de l’œuvre himself, les nègres n’y sont pour rien.

      Peut on (doit-on) priver Otfried Preussler du plaisir de modifier son œuvre? N’est ce pas là une entorse à sa liberté d’expression? Certains peintres ont dénaturé leurs œuvres de leur vivant, fallait-il les condamner pour outrage à la mémoire collective?

      [Là, t’es mal, t’as le droit d’appeler un ami ou d’utiliser le 50-50 😉 ]

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      1. Cette demande est une requête de l’auteur de l’œuvre himself, les nègres n’y sont pour rien.

        Peut on (doit-on) priver Otfried Preussler du plaisir de modifier son œuvre?

        Il a le droit de ré-écrire son livre, d’en donner une nouvelle version, non ? ça n’implique pas que les antérieures doivent être effacées.
        Ce serait même intéressant de voir ce qu’il modifie, il n’y a pas beaucoup de livres qui ont été expurgés par leur auteur lui-même, agissant en toute liberté. On pourrait comparer les deux versions…

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        1. On est d’accord, il a le droit de faire ce qu’il veut de son doudou. On va attendre de lire la nouvelle version.
          Hé! Merci pour cet échange Suzanne.
          Amitiés.

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  3. Ce qui est entré dans l’Histoire me paraît devoir y rester ne serait-ce que pour éviter tout révisionnisme. J’ai lu très jeune « Autant en emporte le vent » et ça a contribué à fonder mon anti-racisme, tant la négresse de Scarlet me faisait bondir !.
    Solveig.

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    1. (J’ai récupéré ton commentaire dans les spams, désolé)

      Révisionnisme? Modifier son œuvre ne peut souffrir de ce qualificatif.
      C’est le droit doudou. Inaliénable…

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  4. Ce qui est entré dans l’Histoire me paraît devoir y retser, ne serait-ce que pour éviter tout révisionnisme;
    J’ai lu très jeune « Autant en emporte le vent » et ça a contribué à fonder mon anti-racisme, tant Scarlet et sa « bonne négresse « me faisaient bondir d’indignation.
    Solveig

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    1. Suzanne, la Comtesse de Ségur me filait des boutons !
      Pour autant, je trouve qu’il vaut mieux qu’on sache ce qu’on donnait à lire aux petites filles pour leur « ouvrir » l’esprit !!!

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  5. J’ai lu l’article de Libération . On ne parle pas du plaisir d’Otfried Preussler de modifier son oeuvre. On dit qu’il a accepté. Ce n’est pas tout à fait pareil. L’ampleur du débat concernant cet éditeur s’explique par autre chose que deux ou trois mots par ci par là. D’après Libération : Il y a quatre ans, la maison Oetinger d’Hamburg, éditrice allemande des aventures de l’héroïne suédoise Fifi Brindacier, très populaire en Allemagne, avait déjà retiré les termes «nègres» et «tsiganes» de ses traductions.

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    1. J’ai lu l’article de Libération . On ne parle pas du plaisir d’Otfried Preussler de modifier son œuvre. On dit qu’il a accepté. Ce n’est pas tout à fait pareil.

      il a accepté? Donc, respecter sa volonté. Faire comme il y a 4ans.

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        1. Oui.
          1. On garde les doudous pour les vieux lecteurs et,
          2. on édite de nouveaux doudous pour les générations futures.
          Puis, on utilise les anciennes versions pour éduquer les chérubins.

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  6. Il était une fois une vilaine sorcièrequi décide, à l’âge de 127 ans, de devenir gentille. Tel est le propos de Die Kleine Hexe, conte enfantin écrit en 1957. Une histoire pas si innocente qu’on pourrait le croire. Notamment depuis qu’un père de famille a exigé le retrait de certains termes «racistes» de ce classique de la littérature jeunesse outre-Rhin. Tout est même parti d’un sentiment de colère en novembre dernier lorsque cet homme, Mekonnen Mesghena, lit La petite sorcière à sa fille de sept ans au moment du coucher. Il découvre alors au sein de ce texte, écoulé à plus de 50 millions d’exemplaires, l’utilisation du qualificatif «nègre».

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