Ce matin, dans un papier de BBC News, je découvre le « Guide du Paris Colonial & des banlieues ». Un livre à paraître en janvier 2018, aux éditions Syleps (pas avant Noël, c’est dommage). Classés par arrondissement, les auteurs (Patrick Silberstein, médecin à la retraite, et son camarade Didier Epsztajn) fournissent des éléments biographiques sur les personnages concernés, particulièrement sur leurs états de service dans les colonies.
Une invitation au voyage dans la mémoire coloniale de Paris, une flânerie bien particulière sur le bitume parisien. Sur les quelques 5 000 artères et places parisiennes, elles sont plus de 200 à « parler colonial ». Qui se cachent derrière ces noms, pour la plupart inconnus de nos contemporains ? C’est ce que révèle ce livre, attentif au fait que ces rues ont été baptisées ainsi pour faire la leçon au peuple de Paris et lui inculquer une certaine mémoire historique.
On n’y retrouve pas uniquement les officiers ayant fait leurs classes « aux colonies », il y a aussi des « explorateurs », souvent officiers de marine en « mission », des bâtisseurs, des ministres et des députés. On croise également des littérateurs, des savants, des industriels, des banquiers, des « aventuriers ». Se laisser guider, par exemple dans le 12e arrondissement, poser son regard sur le bâtiment de la Cité de l’histoire de l’immigration, sur l’ancien Musée des colonies construit en 1931 pour l’Exposition coloniale qui fut l’occasion d’honorer les agents du colonialisme et d’humilier ses victimes. Les alentours portent la marque de l’Empire colonial, rues et voies ont reçu le nom de ces « héros coloniaux » qui ont conquis à la pointe de l’épée des territoires immenses. Les alentours de l’École militaire sont également un lieu de mémoire très particulier, très «imprégné » de la culture coloniale. Dans le 16e, avenue Bugeaud, Maréchal de France, gouverneur de l’Algérie, trône celui pratiquait la terre brûlée et les «enfumades ». Il recommandait…
…d’incendier les villages, de détruire les récoltes et les troupeaux, pour « empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer ». Il faut, ordonnait-t-il, « allez tous les ans leur brûler leurs récoltes », ou les « exterminer jusqu’au dernier ». S’ils se réfugient dans leurs cavernes, « fumez-les à outrance comme des renards ».
Quiconque utiliserait les tactiques de Bugeaud dans le monde d’aujourd’hui serait vraisemblablement jugé pour crimes contre l’humanité n’est ce pas? Et pourtant, son nom orne encore une avenue chic à Paris. Un peu partout, dispersées dans la capitale, on traverse des rues et des avenues dont les noms qui, tout en ayant l’apparence de la neutralité d’un guide touristique, sont autant de points de la cartographie coloniale : rues de Constantine, de Kabylie, de Tahiti, du Tonkin, du Dahomey, de Pondichéry, de la Guadeloupe… Toutes célèbrent des conquêtes et des rapines coloniales que rappellent la nomenclature des rues de Paris.
Pourquoi donc un « Guide du Paris Colonial & des banlieues » ?
Interrogés par le Telegraph – la presse anglaise en parle, pas en France -, les auteurs français du guide « Paris colonial », soucieux de mettre en lumière le passé colonial et esclavagiste de la France, espèrent déclencher le mouvement de style «Rhodes doit tomber ». Alors que le débat fait rage au Royaume-Uni et dans le monde anglophone à propos de la suppression des statues de Cecil Rhodes, du général Lee et d’autres, jugés coupables de méfaits historiques, on n’entend en France guère plus qu’un gémissement. « Nous ne voulons pas réécrire l’histoire, mais présenter une autre version de l’histoire qui est celle de l’anticolonialisme et de la décolonisation », déclare M. Silberstein.
Oublions un instant Jean Baptiste Colbert, le Rédacteur en chef du Code Noir, direction, « Place Gambetta » à Paris, une belle place baptisée, comme d’innombrables autres lieux à travers la France, du nom vénéré de l’homme d’État du XIXe siècle, Léon Gambetta, sans aucun doute mieux connu pour une évasion audacieuse en ballon pendant le siège à la capitale française. Mais M. Gambetta devrait aussi, rappelle M. Silberstein, être connu comme « un fervent partisan de l’expansion coloniale, de la conquête de l’Algérie, de la conquête de l’Indochine et de l’expansion française en Afrique ». Rendre à César. On se contenterait que la place garde son nom, à condition qu’une plaque soit ajoutée pour donner un bref compte rendu des exploits plus sombres de Gambetta.
La campagne pour renommer les rues ou enlever des statues en France est de faible intensité comparée aux mouvements similaires aux États-Unis (à Charlottesville avec la statue du général confédéré Robert E. Lee, symbole du racisme et de l’histoire de l’esclavage de l’Amérique) ou en Grande-Bretagne, avec la campagne pour retirer les noms des colonialistes ou des partisans du commerce des esclaves des bâtiments et des monuments publics (exemple, retirer de l’Université d’Oxford la statue de Cecil Rhodes, l’impérialiste victorien). En France, le mouvement n’a pas réussi à attirer l’attention de l’opinion publique et est largement resté en deçà du radar médiatique. Oui, « La France a un problème avec son histoire », mais il arrive qu’elle se bouge. Ainsi, en 2002 à Paris, la rue Richepanse, du nom d’un général français responsable de la mort de milliers de Noirs rebelles en Guadeloupe, est devenue la rue du Chevalier de Saint-George, lui-même originaire de la même île des Caraïbes françaises dont la musique l’a fait connaître comme le «Mozart noir», ce personnage que je porte comme une image sur le Net, mon avatar…
« Le seul moyen de se débarrasser du passé, c’est de le prendre en compte » disait Christiane Taubira. Elle a raison. A défaut de déboulonner, compléter les inscriptions pour « dire la vérité aux français« . Réduire la géographie de l’ignorance pour mieux combattre ce racisme désormais bien installé en France. Mon avis. Tenez, une Avenue, Place avec la statue de Johnny Hallyday in Paris pour remplacer certains suprémacistes bien de chez nous, je veux bien. C’est une idée...
A acheter et à lire: « Guide du Paris Colonial & des banlieues » Collection «Avant-première» Parution, Janvier 2018, 144 pages, Format 115 x 190, ISBN : 978-2-84950-659-2
./…
Pour ma part je n’oublie jamais que les « Lumières » que nous fait bouffer du matin au soir riment avec Voltaire, l’actionnaire de la traite négrière.
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Sans rien effacer, il faut actualiser les fiches -wikipedia- & plaques dans l’espace public. Faire fondre cette couche de neige qui cache la véritable histoire de France. Puis viendra le pardon, et tout ira bien …
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Je pense que je lirais ce bouquin. Ce passé, comme l’écrivait Odile Tobner: « Le pays des Lumières et des droits de l’Homme n’aime pas se voir en ce miroir-là ».
Sur le « gentil » Jean d’Ormesson:
http://kagatama.blogspot.fr/2008/10/jean-dormesson-au-rwanda-un-touriste.html?m=1
Décoloniser les esprits prendra encore du temps.
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Le lire, voire l’offrir (j’ai quelques noms) 😉
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À droite comme à gauche beaucoup de personnalités ont eu un discours favorable à la colonisation. Debaptiser les rues et places…il y a du taf!
http://www.anticolonial.net
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Vrai. Non, debaptiser n’est le but ultime, l’idée c’est de retablir « la grandeur » de ces personnages. Après, chacun appreciera ses références historiques. Oui, « aimer la France, c’est pour le meilleur et pour le pire« …
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Bonjour
trois extraits de l’introduction « Une toponymie qui tue »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/01/15/une-toponymie-qui-tue/
cordialement
didier
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