Lors de la cérémonie du 170ᵉ anniversaire de l’abolition de l’esclavage en France, le 27 avril dernier, au Panthéon (Paris), j’ai retenu un moment, une séquence émotion, le vibrant récital (de Jacques Martial) de l’œuvre poétique d’Aimé Césaire (publiée en 1939 et rééditée en 1947 ), « Cahier d’un retour au pays natal ». Extrait …
Non …
Nous n’avons jamais été amazones du roi du Dahomey, ni princes de Ghana, ni docteurs à Tombouctou, ni architectes de Djenné, ni Mahdis, ni guerriers. Nous ne sentons pas la démangeaison de ceux qui tinrent jadis la lance.
Et, puisque j’ai juré de ne rien celer de notre histoire (moi qui n’admire rien tant que le mouton broutant son ombre d’après-midi), je veux avouer que nous fûmes de tout temps d’assez piètres laveurs de vaisselle? des cireurs de chaussures sans envergure? Mettons les choses au mieux.. d’assez consciencieux sorciers et le seul indiscutable record que nous ayons battu est celui d’endurance à la chicotte...
Et ce pays, cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité s’arrêtent aux portes de la nègrerie; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins cher que nous. Et ce pays était calme, tranquille, disant que l’esprit de Dieu était dans ses actes.
Nous, vomissure de négrier…
Nous, vénerie des Calebars …
J’entends, de la cale, monter les malédictions enchaînées, les hoquettements des mourants, le bruit d’un qu’on jette à la mer… les abois d’une femme en gésine, des raclements d’ongles cherchant des gorges, des ricanements de fouet, des farfouillis de vermine parmi des lassitudes. Ainsi soit-il! Ainsi soit-il! C’était écrit dans la forme de leur bassin!
Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole, ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité, ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel, mais ceux… sans qui la terre ne serait pas la terre! Gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte davantage la terre!
Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour! Ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre! Ma négritude n’est ni une tour ni un cathédrale! Elle plonge dans la chair rouge du sol! Elle plonge dans la chair ardente du ciel, elle troue l’accablement opaque de sa droite patience! Eia! pour le Kaïlcédrat royal ! Tiède petit matin de vertus ancestrales. Eia! pour la joie! Eia! pour l’amour! Eia! pour la douleur aux pis de larmes réincarnées! Et voici, au bout de ce petit matin ma prière virile, que je n’entende ni les rires ni les cris, les yeux fixés sur cette ville que je prophétise, belle…
Donnez-moi la foi sauvage du sorcier, donnez à mes mains puissance de modeler, donnez à mon âme la trempe de l’épée, je ne me dérobe point.
Faites de ma tête une tête de proue, et de moi-même mon cœur ne faites ni un père, ni un frère, ni un fils, mais… le père, mais le frère, mais le fils. Ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple.
Faites-moi rebelle à toute vanité mais docile à son génie comme le poing à l’allongée du bras! Faites-moi commissaire de son ressentiment, faites-moi dépositaire de son sang, faites de moi un homme de terminaison, faites de moi un homme d’initiation, faites de moi un homme de recueillement mais faites aussi de moi un homme d’ensemencement. Faites de moi l’exécuteur de ces œuvres hautes, voici le temps de se ceindre les reins comme un vaillant homme..
Mais les faisant, mon cœur, préservez-moi de toute haine, ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine car, pour me cantonner en cette unique race, vous savez pourtant mon amour tyrannique, vous savez que ce n’est point par haine des autres races que je m’exige bêcheur de cette unique race…
Que ce que je veux, c’est pour la faim universelle, pour la soif universelle, la sommer libre enfin de produire de son intimité close …
(…) la succulence des fruits.
Aimé Césaire
[…]
./…
(et) puisque Aimé Césaire est cité (Corps perdu)
http://www.deblog-notes.com/2018/05/cendrars.html?utm_source=_ob_email&utm_medium=_ob_notification&utm_campaign=_ob_pushmail
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On peut rappeler que le « Discours sur le colonialisme » inscrit au programme français des terminales en 1994, avait été supprimé par le ministre de l’Education F. Bayrou par décret en juillet 1995.
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Je ne savais pas, merci🙊
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